Nouveau schéma national du maintien de l’ordre : réprimer sans témoins ?

Un policier empêche un journaliste de travailler.

Le ministère de l’Intérieur a discrètement publié un Schéma national des violences urbaines (SNVU), un document de 52 pages destiné à encadrer l’action des forces de l’ordre lors d’émeutes. Ce texte détaille des protocoles opérationnels, des modèles de procès-verbaux et des stratégies de coordination policière. Mais son point le plus controversé réside dans l’exclusion explicite des journalistes : le document stipule que leur statut, pourtant protégé dans le cadre du maintien de l’ordre, « ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines ». Une mesure qui, selon les syndicats de journalistes, ouvre la voie à des restrictions arbitraires de la liberté d’informer, voire à des risques accrus pour les reporters sur le terrain.

Les organisations professionnelles, comme le Syndicat national des journalistes (SNJ) et le SNJ-CGT, dénoncent une « attaque en règle contre la liberté d’informer », d’autant que le texte a été diffusé sans concertation préalable, à la veille de mobilisations sociales prévues les 10 et 18 septembre 2025. « Cela crée des angles morts pour documenter les dérives policières ou les tensions sociales », alerte Soraya Morvan-Smith (SNJ-CGT), soulignant que les journalistes sont déjà régulièrement pris pour cibles, tant par les forces de l’ordre que par des manifestants hostiles. Le SNJ a annoncé un recours devant le Conseil d’État, soutenu par Reporters sans frontières (RSF) et la Ligue des droits de l’homme, pour faire annuler cette disposition. Le ministère, confronté à la polémique, a tenté de minimiser l’affaire, promettant une « précision » dans la doctrine pour éviter « toute mauvaise interprétation ».

Ce schéma s’inscrit dans une tendance lourde de restriction des libertés médiatiques, déjà illustrée par la loi Sécurité globale de 2021 – partiellement censurée par le Conseil constitutionnel – ou par les tensions récurrentes entre policiers et journalistes lors des manifestations. Bien que le Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) de 2020 ait finalement garanti aux reporters le droit de couvrir les événements « dès lors qu’ils ne gênent pas l’action des forces de l’ordre », la pratique sur le terrain reste problématique. Le SNVU, en distinguant artificiellement « violences urbaines » et « maintien de l’ordre », risque d’aggraver cette opacité, au mépris du rôle essentiel de la presse comme contre-pouvoir. « Sans journalistes, qui documentera les excès ? », interroge Thibaut Bruttin (RSF), alors que les émeutes de 2023 avaient justement révélé des lacunes criantes en matière de transparence policière.

Une question persiste : cette doctrine marque-t-elle un tournant sécuritaire, ou simplement la formalisation d’une dérive déjà à l’œuvre ?

sources

Article de l’Humanité : https://www.humanite.fr/medias/emeutes-urbaines/violences-urbaines-en-douce-le-ministere-de-linterieur-interdit-les-journalistes-en-manifestation?fbclid=PAdGRjcAMmNhpleHRuA2FlbQIxMQABp1Io_0eM1lHk9t1bFIAPF-jMTVB0qwFHpt8MOL6v4vsWs-aCZBu01yRpPMHX_aem_v1_ubMe9UohJ2S1NY_T87A

Article de Médiapart : https://www.mediapart.fr/journal/france/040925/violences-urbaines-le-ministere-de-l-interieur-essaie-encore-d-ecarter-les-journalistes

Accès au document : https://snpps.fr/wp-content/uploads/2025/08/SNVU.pdf

Mort de Rémi Fraisse : la CEDH condamne la France

Plus de dix ans après la mort de Rémi Fraisse, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour violation du droit à la vie en raison d’un encadrement insuffisant du maintien de l’ordre. Rémi Fraisse, un jeune botaniste de 21 ans, a été tué par l’explosion d’une grenade offensive lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens en octobre 2014. La CEDH a jugé que l’intervention des forces de l’ordre violait l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, soulignant un usage disproportionné de la force et des lacunes dans le cadre juridique et administratif.

La décision de la CEDH pointe du doigt l’absence de garanties suffisantes pour encadrer l’usage de la force potentiellement meurtrière et les défaillances dans la préparation et la conduite des opérations. Le recours aux grenades offensives OF-F1 sans dispositif de contrôle efficace a été jugé comme une faute grave de l’État. Cette condamnation est inédite, car c’est la première fois que la France est sanctionnée pour l’usage d’armes dans une opération de maintien de l’ordre. Claire Dujardin, avocate de la famille de Rémi Fraisse, considère cette décision comme une victoire et un appel à réviser la doctrine de maintien de l’ordre en France.

La CEDH a également souligné que l’enquête menée par les autorités françaises respectait les exigences d’impartialité et d’approfondissement, bien que des doutes aient été soulevés sur l’objectivité de ladite enquête. L’État français devra verser des indemnités aux proches de Rémi Fraisse, mais cette décision ne remet pas en cause l’absence de responsabilité pénale des forces de l’ordre impliquées. La condamnation établit un précédent important en matière de maintien de l’ordre, rappelant que l’usage de la force doit être strictement encadré et justifié. Claire Dujardin espère que cette décision incitera la France à adapter ses pratiques pour éviter de nouveaux drames.

Source : https://www.politis.fr/articles/2025/02/justice-luttes-mort-de-remi-fraisse-la-cedh-condamne-la-france/