Le tribunal administratif de Montpellier a jugé illégal un arrêté pris par le préfet de l’Hérault en avril 2023, qui instaurait un périmètre d’interdiction lors d’un déplacement d’Emmanuel Macron à Ganges. Cet arrêté visait à prévenir des actes terroristes en interdisant l’usage de dispositifs sonores portatifs, comme les casseroles, et en restreignant l’accès à une zone étendue du centre-ville.
Le tribunal a estimé que le préfet n’avait pas le droit d’instaurer un tel périmètre sans preuve d’une menace terroriste, et que l’arrêté portait atteinte aux libertés de manifester et de circuler. Il a donc annulé l’arrêté et condamné l’État à payer les frais de justice des associations plaignantes, l’Adelico et la LDH.
Le Conseil d’État, saisi par des associations, a jugé que le cadre juridique régissant l’utilisation des drones pour le maintien de l’ordre respecte les exigences de protection des données personnelles issues du droit européen et français. Ce cadre interdit la reconnaissance faciale, la captation de son, et les croisements avec d’autres fichiers, et exige une autorisation au cas par cas pour la captation d’images, en l’absence d’autres solutions.
Plusieurs associations avaient contesté le décret du 19 avril 2023, mais le Conseil d’État a rejeté leurs recours, estimant que le cadre juridique existant, incluant ce décret et la loi de janvier 2022, garantit le respect de la vie privée et des données personnelles. Le Conseil d’État a souligné que chaque utilisation de drones doit être autorisée par le préfet, qui doit s’assurer de la nécessité des données recueillies et de l’absence d’autres moyens. Les autorisations peuvent être contestées devant le juge administratif, y compris en urgence. Le décret n’autorise ni la captation sonore, ni l’usage de la reconnaissance faciale, ni les rapprochements automatisés avec d’autres fichiers, et limite la durée de conservation des données à sept jours. Les associations critiquaient également le manque de précision sur les circonstances permettant de déroger à l’interdiction de capter des images à l’entrée ou à l’intérieur des domiciles, mais le Conseil d’État a jugé que ces circonstances doivent être des conditions matérielles objectives spécifiques à chaque opération.
Un article récent de Disclose révèle les efforts entrepris par la France pour influencer le règlement européen sur l’intelligence artificielle, connu sous le nom de « AI Act », afin de permettre des pratiques controversées telles que la reconnaissance faciale en temps réel, l’interprétation des émotions, et la catégorisation des pensées religieuses, sexuelles et politiques. Selon des documents confidentiels révélés par Disclose et Investigate Europe, la France a milité activement pour que ces technologies intrusives soient autorisées, malgré les risques qu’elles posent pour les droits fondamentaux et les libertés publiques.
L’article décrit des scénarios dystopiques où des caméras intelligentes pourraient être utilisées pour surveiller des manifestants ou interroger des migrants, enregistrant et analysant leurs émotions et comportements. Ces pratiques pourraient devenir réalité dès le 2 février, lorsque les articles les plus controversés de l’AI Act entreront en vigueur. La France a réussi à obtenir des exemptions majeures en invoquant la sécurité nationale, ce qui permettrait l’utilisation de ces technologies dans l’espace public. Les négociations secrètes et le lobbying intensif de la France ont conduit à un cadre réglementaire qui, au lieu de protéger les libertés, ouvre la porte à une surveillance de masse.
En réponse aux attentats de 2015, la France a adopté des mesures sécuritaires exceptionnelles, notamment l’état d’urgence décrété par le président François Hollande le soir des attentats du 13 novembre 2015. Cette mesure, une première depuis la guerre d’Algérie, a conféré aux préfets des pouvoirs étendus, tels que l’instauration de couvre-feux, des perquisitions à toute heure et l’assignation à résidence de personnes jugées dangereuses pour la sécurité publique. Ces décisions ont marqué un tournant dans la législation antiterroriste française, selon Patrice Spinosi, avocat spécialisé dans la défense des libertés publiques.
Initialement prévu pour être provisoire, l’état d’urgence a été prolongé six fois avant que ses principales mesures ne soient intégrées dans le droit commun par la loi « sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme » (Silt) en octobre 2017, puis par la loi de prévention du terrorisme en 2021. Cette dernière loi a institutionnalisé les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) pour certains détenus condamnés pour terrorisme, élargi les critères de fermeture des lieux de culte suspectés de liens terroristes, et pérennisé l’utilisation d’algorithmes pour surveiller les profils à risque en ligne. Cependant, ces mesures ont également été critiquées pour leurs dérives, notamment leur application à des militants écologistes et à des manifestants, comme lors des mouvements des Gilets jaunes ou des protestations contre la réforme des retraites.
A l’occasion du congrès national de la Ligue des Droits de l’Homme qui s’est tenu à Bordeaux en mai 2024. Baptiste Giraud (La Clé des ondes) a interrogé Mathilde (observatoire parisien) et Garance (observatoire bordelais) sur les objectifs et le fonctionnement des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières déployés sur le territoire national. Les observatrices s’expriment également sur l’utilité d’un travail indépendant ainsi que sur le décalage qui peut exister entre un rapport officiel et un rapport d’observation comme ce fut le cas à l’issue du rassemblement de Sainte-Soline.
Outre-mer, « violences policières », libertés d’expression et de manifestation, situation des migrants, racisme et mesures antiterroristes figurent au nombre des questions soulevées.
Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport de la France sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, abordant plusieurs questions sensibles telles que les violences policières, les libertés d’expression et de manifestation, la situation des migrants, le racisme et les mesures antiterroristes. Les experts du Comité ont exprimé des préoccupations concernant les restrictions aux droits fondamentaux, les violences policières, et les politiques répressives liées à l’immigration. Ils ont également souligné les tensions en Nouvelle-Calédonie et les mesures de lutte contre le terrorisme qui pourraient attenter aux droits et libertés des personnes.
La délégation représentant le gouvernement français, menée par Isabelle Rome, Ambassadrice pour les droits de l’homme, a insisté sur les efforts de la France pour garantir les droits de l’homme, notamment en renforçant les politiques publiques pour la justice et la démocratie. Elle a également mentionné les initiatives pour lutter contre la peine de mort dans le monde, le racisme, l’antisémitisme, et les discriminations liées à l’origine des personnes. La délégation a souligné les mesures prises pour rétablir l’ordre en Nouvelle-Calédonie et a réaffirmé l’engagement de la France envers les droits civils et politiques dans tous ses territoires, y compris les outre-mer.
Les experts du Comité ont critiqué les réponses de la délégation française concernant l’outre-mer, les qualifiant de « douche froide » et exprimant des doutes sur la sincérité des engagements de la France. Ils ont également abordé des questions spécifiques telles que l’indépendance du parquet, les technologies de surveillance, et les conditions de détention. La délégation française a répondu en soulignant les garanties existantes et les réformes en cours, tout en insistant sur la nécessité de lutter contre le terrorisme et de protéger les droits fondamentaux.
En conclusion, l’examen du rapport de la France par le Comité des droits de l’homme a mis en lumière des préoccupations importantes concernant les droits de l’homme en France, tout en encourageant le gouvernement français à y répondre. Le Comité adoptera ultérieurement ses observations finales sur le rapport de la France.
Identification des agents des forces de l’ordre : en raison de la non-exécution de la décision du Conseil d’Etat du 11 octobre 2023, l’ACAT-France et la LDH saisissent le Conseil d’Etat.
Crédit photo : Mathias Reding.
Saisi par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France) et la Ligue des droits de l’Homme (LDH), saisine soutenue par le Syndicat des avocats de France (Saf) et le Syndicat de la magistrature (SM), le Conseil d’Etat, par une décision du 11 octobre 2023, avait accordé 12 mois au gouvernement pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que le numéro d’identification individuel (RIO) soit effectivement porté par les agents des forces de l’ordre, mais aussi qu’il soit agrandi afin d’être rendu réellement visible et lisible en contexte d’intervention.
Un an après, la majorité des agents des forces de l’ordre ne sont toujours pas personnellement identifiables lors de leurs interventions.
Selon les signataires, le nouveau ministre de l’Intérieur doit prouver qu’il respecte l’Etat de droit en exécutant sans délai cette décision de justice : “Dans une démocratie, la police n’est pas au-dessus des lois et les agents doivent répondre personnellement de leurs actes devant la population quand ils agissent au mépris de leur déontologie et du cadre fixé. À ce titre, l’Etat, en qualité d’employeur et de supérieur hiérarchique des agents des forces de l’ordre, devrait en assumer la responsabilité.”
Le RIO : la lisibilité du numéro n’est pas une option, c’est une garantie démocratique.
L’identification des agents des forces de l’ordre repose sur des principes essentiels à un Etat de droit. Sans elle, pas de possibilité de faire valoir ses droits en cas de violation de la loi lors des opérations de police. Sans elle, le risque d’engendrer un sentiment d’impunité, à rebours des exigences pesant sur les Etats ayant ratifié la Convention européenne des droits de l’Homme, est d’autant plus important. Qu’il soit permis, au plus haut niveau de l’Etat, que des policiers puissent ne pas être identifiables en service, ne peut que générer au sein de la population un sentiment de défiance et de suspicion.
En France, ce principe simple et incontestable de transparence est garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui pose le droit de « demander compte à tout agent public de son administration ».
Un tel principe permet de rendre les forces de l’ordre comptables de leurs actes en cas d’abus, et de prévenir ou de sanctionner, le cas échéant, des atteintes graves aux libertés fondamentales telles que la liberté de manifester.
Or, actuellement, le RIO apposé sur le bandeau amovible est – toujours – un numéro de quelques millimètres, trop petit pour être lisible. De plus, des pratiques illégales de dissimulation de ce numéro sont observées. L’équipement est inadapté aux contraintes de terrain, et l’absence de sanction des agents qui ne respectent pas cette règle a été reconnue devant le juge par le ministère.
C’est pourquoi le Conseil d’Etat avait donné jusqu’au 11 octobre 2024 au gouvernement pour agrandir le numéro en le rendant réellement visible et lisible en toutes circonstances et pour en imposer le port effectif.
Ne pas porter le RIO, c’est sciemment refuser réparation aux victimes, offrir l’impunité aux agents, auteurs d’un usage disproportionné de la force, et les conforter à agir hors-la-loi.
Dans son rapport annuel sur l’Etat de droit de 2024 les constats de la Commission de l’Union européenne rappellent la gravité de la situation qui perdure en France : “Souvent, dans le cadre de manifestations, il est impossible d’enquêter sur les agissements des forces de l’ordre prétendument contraires à leurs règles de déontologie, car les auteurs ne peuvent pas être identifiés.”
Depuis plusieurs années, les violences commises par les forces de l’ordre à l’occasion du maintien de l’ordre en manifestation sont en hausse en France. Or, dans de très nombreux cas, l’impunité des agents reste la règle, ceux-ci n’étant pas identifiables.
Les citoyennes et citoyens se trouvent désarmé·es face à une force publique échappant à tout contrôle, alors qu’elle est pourtant censée les protéger.
L’identification effective des forces de l’ordre est une exigence minimum dans une démocratie et une condition essentielle pour rétablir la confiance de la population envers sa police.
Les signataires (ACAT-France, la LDH (Ligue des droits de l’Homme), le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature) exhortent le ministre de l’Intérieur, M. Bruno Retailleau, à se conformer immédiatement à la décision du Conseil d’Etat, et saisissent celui-ci d’une demande en exécution de cet arrêt.
Source : Communiqué commun LDH, ACAT-France, Saf et SM
Depuis 2022, Michel Forst est le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement. Son rôle est de protéger les militants écologistes contre toute forme de harcèlement, de persécution ou de pénalisation. Selon lui, la répression législative, policière et judiciaire de la désobéissance civile environnementale constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains. Il a dressé un panorama européen de la répression des militants écologistes et a constaté que les mêmes phénomènes se produisent dans presque tous les pays, à l’exception de la Norvège. Les personnalités politiques utilisent un discours discriminatoire et diffamatoire à l’encontre des militants, qui sont souvent qualifiés d’écoterroristes ou de talibans verts. Les médias relaient ces propos et encouragent involontairement les usagers à assimiler les militants à des terroristes ou des criminels. Les autorités publiques utilisent ce discours pour justifier le recours à des méthodes jusqu’à présent réservées à la lutte antiterroriste.
Michel Forst considère que la France est le pire pays d’Europe en termes de répression policière des militants environnementaux. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie et leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations. En Allemagne, les arrestations sont musclées, mais cela n’a rien à voir avec l’actuelle répression policière que subissent les militants français. En Grande-Bretagne, la répression est différente et s’exprime surtout en termes de répression judiciaire. Des peines allant jusqu’à trente mois de prison ferme ont été prononcées pour un blocage de pont ou d’autoroute. Les entreprises autoroutières peuvent réclamer aux militants climat des sommes faramineuses sous prétexte que l’interruption du trafic a entraîné une perte financière. Pour autant, quelques magistrats commencent à reconnaître la légitimité de la désobéissance civile.
Le ministère de l’Intérieur a récemment autorisé les gendarmes et policiers à utiliser le lancer à la main fr la grenade modulaire 2 effets lacrymogènes GM2L (ou SAE 820) en Nouvelle-Calédonie, en réponse à la recrudescence de la violence et à l’utilisation d’armes contre les forces de l’ordre dans cette région. Cette grenade, produite par Alsetex, a succédé à la grenade GLI-F4 en France en 2018 et est conçue pour avoir des effets lacrymogènes et assourdissants.
Dans cet article publié dans le magazine « La Voix du gendarme« , le général (2S) Bertrand Cavallier, expert en sécurité et maintien de l’ordre, salue cette décision, mais estime qu’une réflexion plus large est nécessaire sur l’armement, l’équipement et les conditions d’utilisation des armes par les forces de l’ordre. Il souligne que les capacités des forces de l’ordre ont diminué au fil des ans, tandis que les activistes, en particulier les milices d’ultra-gauche, ont considérablement amélioré leurs armes artisanales. Il appelle à une densification rapide des armements des forces de l’ordre en Nouvelle-Calédonie, où les gendarmes et les policiers seraient « confrontés à des criminels armés d’armes à feu puissantes« . Il suggère également l’adoption de marqueurs à distance pour mieux identifier les participants aux attroupements armés et optimiser la réponse pénale. La Nouvelle-Calédonie apparaît ainsi comme un laboratoire avancé du futur maintien de l’ordre en métropole.
Rennes est une ville connue pour sa forte tradition militante, avec de nombreuses mobilisations étudiantes et syndicales, ainsi que des mouvements nationalistes bretons et autonomes. Les manifestations sont un moyen d’action courant à Rennes, avec des exemples marquants tels que les mouvements contre les lois Debré en 1973, Devaquet en 1986 ou le CPE en 2006. En 2016, le mouvement contre la loi dite « travail » a marqué un tournant, avec l’émergence d’un « cortège de tête » composé de manifestants autonomes se confrontant régulièrement aux forces de police.
En 2023, la ville a connu de nombreuses manifestations, notamment contre la réforme des retraites, avec une trentaine de manifestations entre janvier et juin. Des émeutes ont également éclaté dans différents quartiers de Rennes en réponse à la mort de Nahel, abattu par un policier à Nanterre, avec des affrontements violents entre les forces de police et les manifestants. Les mobilisations ont repris suite aux événements du 7 octobre, avec de nombreux rassemblements pour la paix en Palestine. Enfin, le début de l’année 2024 a été marqué par des manifestations contre la loi dite « immigration », générant de nouvelles tensions entre les manifestants et les forces de police. Les moyens mis en œuvre pour le maintien de l’ordre ont été inédits à Rennes, avec le déploiement de la CRS8, de l’échelon régional rennais du RAID, l’usage de blindés, de drones ou le déploiement récurrent de la CRS82, ce qui appelle à une vigilance particulière pour observer et documenter l’usage qui en est fait.
Parmi les nombreux points instructifs du rapport, on notera la création d’un pôle de recueils de témoignages ou encore une progression encourageante dans les relations, bien qu’encore trop souvent conflictuelles, avec la police : « Malgré ces entraves que nous déplorons, nous remarquons une meilleure acceptation du travail de l’Observatoire au fur et à mesure des observations. Les forces de police semblent nous identifier de mieux en mieux à Rennes. De plus en plus de policier.es s’intéressent et marquent de la curiosité sur le travail de l’Observatoire. »