Dans cette interview sur le plateau du Media, Lucas Lévy-Lajeunesse, membre de l’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP), évoque à l’occasion de la sortie de son livre « La Police contre la démocratie » le travail des observatoires, les pratiques policières et en particulier celles de la Brav-M, ainsi que le problème lié à l’absence de port du RIO et celui lié au port fréquent de la cagoule.
Au delà de la dénonciation de la gestion violente du maintien de l’ordre, Lucas Lévy-Lajeunesse témoigne du changement de doctrine qui vise à criminaliser les manifestations et à restreindre l’expression politique dans un espace public encadré par les forces de l’ordre. Il alerte sur les atteintes à un Etat de droit, sur les attaques permanentes contre les associations et la diffusion des doctrines d’extrême droite dans l’espace public qui pourrait à boutir à l’instauration d’un régime de type fasciste.
Sur son compte Instagram, Me Alexis Baudelin, avocat, alerte sur la décision qui vient d’être rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 février 2025. La chambre a confirmé la condamnation de Loïc S. notamment pour participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, recel de vol et dégradations par inscription, signe ou dessin à l’occasion de la manifestation du 25 mars 2023 contre le projet de construction d’une mégabassine à Sainte-Soline.
« Ce qui est particulièrement inquiétant dans cet arrêt ce sont les éléments qui ont été retenus pour caractériser l’infraction de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations« , souligne Me Alexis Baudelin. En effet, cette infraction, définie à l’article 222-14-2 du code pénal, nécessite la démonstration de plusieurs conditions : l’existence d’un groupement, la préparation de violences ou de dégradations caractérisée par des faits matériels et le fait de participer sciemment en ayant connaissance de l’intention délictueuse du groupement.
Or, poursuit Me Alexis Baudelin, « Cette décision est un très mauvais signal pour les luttes militantes. Elle criminalise indirectement le fait de vouloir s’informer sur ses droits en manifestation en considérant la possession de documents juridiques comme un potentiel élément de la participation au groupement. Elle considère enfin que toute personne se trouvant dans une manifestation interdite, même si elle regroupe des milliers de personnes aux profils variés, peut être considérée comme participant à un groupement délictuel quand bien même aucune intention violente n’est caractérisée. »
Le tribunal de Valence a relaxé trois organisateurs d’une manifestation contre la réforme des retraites, tenue en avril 2023 à Die. Ils étaient poursuivis pour avoir dépassé de 15 minutes l’horaire déclaré et pour avoir pique-niqué durant la manifestation. Le juge, agacé par ces poursuites, a rapidement mis fin à l’audience.
Les faits reprochés aux militants semblaient anodins par rapport à la procédure engagée. La manifestation s’était déroulée sans incident, avec une pause pour un pique-nique et une dispersion rapide des participants. Les gendarmes avaient filmé l’événement, permettant de vérifier les horaires exacts. Dix-huit mois plus tard, les organisateurs ont été convoqués pour répondre de deux infractions à la demande du procureur de la République (dépendant du ministère de la justice) : une déclaration incomplète et une entrave à la circulation.
L’avocat des accusés a souligné le caractère pacifique de la manifestation et a critiqué la procédure, la qualifiant de politique. Le dossier des gendarmes, sur lequel le procureur s’est décidé à poursuivre contenait en outre de faux éléments. Le juge a donc rapidement prononcé la relaxe des trois organisateurs, déclenchant les applaudissements des soutiens présents. Au delà du burlesque de l’affaire (le procureur lui-même cédant à la farce en « raison de ce terrible pique-nique sauvage« ), ce procès de l’absurde interroge la capacité de nuisance d’un régime prêt à faire perdre son temps à la justice dans le simple but de harceler des manifestant·es.
Plus de dix ans après la mort de Rémi Fraisse, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour violation du droit à la vie en raison d’un encadrement insuffisant du maintien de l’ordre. Rémi Fraisse, un jeune botaniste de 21 ans, a été tué par l’explosion d’une grenade offensive lors d’une manifestation contre le barrage de Sivens en octobre 2014. La CEDH a jugé que l’intervention des forces de l’ordre violait l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, soulignant un usage disproportionné de la force et des lacunes dans le cadre juridique et administratif.
La décision de la CEDH pointe du doigt l’absence de garanties suffisantes pour encadrer l’usage de la force potentiellement meurtrière et les défaillances dans la préparation et la conduite des opérations. Le recours aux grenades offensives OF-F1 sans dispositif de contrôle efficace a été jugé comme une faute grave de l’État. Cette condamnation est inédite, car c’est la première fois que la France est sanctionnée pour l’usage d’armes dans une opération de maintien de l’ordre. Claire Dujardin, avocate de la famille de Rémi Fraisse, considère cette décision comme une victoire et un appel à réviser la doctrine de maintien de l’ordre en France.
La CEDH a également souligné que l’enquête menée par les autorités françaises respectait les exigences d’impartialité et d’approfondissement, bien que des doutes aient été soulevés sur l’objectivité de ladite enquête. L’État français devra verser des indemnités aux proches de Rémi Fraisse, mais cette décision ne remet pas en cause l’absence de responsabilité pénale des forces de l’ordre impliquées. La condamnation établit un précédent important en matière de maintien de l’ordre, rappelant que l’usage de la force doit être strictement encadré et justifié. Claire Dujardin espère que cette décision incitera la France à adapter ses pratiques pour éviter de nouveaux drames.
Le tribunal administratif de Montpellier a jugé illégal un arrêté pris par le préfet de l’Hérault en avril 2023, qui instaurait un périmètre d’interdiction lors d’un déplacement d’Emmanuel Macron à Ganges. Cet arrêté visait à prévenir des actes terroristes en interdisant l’usage de dispositifs sonores portatifs, comme les casseroles, et en restreignant l’accès à une zone étendue du centre-ville.
Le tribunal a estimé que le préfet n’avait pas le droit d’instaurer un tel périmètre sans preuve d’une menace terroriste, et que l’arrêté portait atteinte aux libertés de manifester et de circuler. Il a donc annulé l’arrêté et condamné l’État à payer les frais de justice des associations plaignantes, l’Adelico et la LDH.
Le Conseil d’État, saisi par des associations, a jugé que le cadre juridique régissant l’utilisation des drones pour le maintien de l’ordre respecte les exigences de protection des données personnelles issues du droit européen et français. Ce cadre interdit la reconnaissance faciale, la captation de son, et les croisements avec d’autres fichiers, et exige une autorisation au cas par cas pour la captation d’images, en l’absence d’autres solutions.
Plusieurs associations avaient contesté le décret du 19 avril 2023, mais le Conseil d’État a rejeté leurs recours, estimant que le cadre juridique existant, incluant ce décret et la loi de janvier 2022, garantit le respect de la vie privée et des données personnelles. Le Conseil d’État a souligné que chaque utilisation de drones doit être autorisée par le préfet, qui doit s’assurer de la nécessité des données recueillies et de l’absence d’autres moyens. Les autorisations peuvent être contestées devant le juge administratif, y compris en urgence. Le décret n’autorise ni la captation sonore, ni l’usage de la reconnaissance faciale, ni les rapprochements automatisés avec d’autres fichiers, et limite la durée de conservation des données à sept jours. Les associations critiquaient également le manque de précision sur les circonstances permettant de déroger à l’interdiction de capter des images à l’entrée ou à l’intérieur des domiciles, mais le Conseil d’État a jugé que ces circonstances doivent être des conditions matérielles objectives spécifiques à chaque opération.
Un article récent de Disclose révèle les efforts entrepris par la France pour influencer le règlement européen sur l’intelligence artificielle, connu sous le nom de « AI Act », afin de permettre des pratiques controversées telles que la reconnaissance faciale en temps réel, l’interprétation des émotions, et la catégorisation des pensées religieuses, sexuelles et politiques. Selon des documents confidentiels révélés par Disclose et Investigate Europe, la France a milité activement pour que ces technologies intrusives soient autorisées, malgré les risques qu’elles posent pour les droits fondamentaux et les libertés publiques.
L’article décrit des scénarios dystopiques où des caméras intelligentes pourraient être utilisées pour surveiller des manifestants ou interroger des migrants, enregistrant et analysant leurs émotions et comportements. Ces pratiques pourraient devenir réalité dès le 2 février, lorsque les articles les plus controversés de l’AI Act entreront en vigueur. La France a réussi à obtenir des exemptions majeures en invoquant la sécurité nationale, ce qui permettrait l’utilisation de ces technologies dans l’espace public. Les négociations secrètes et le lobbying intensif de la France ont conduit à un cadre réglementaire qui, au lieu de protéger les libertés, ouvre la porte à une surveillance de masse.
En réponse aux attentats de 2015, la France a adopté des mesures sécuritaires exceptionnelles, notamment l’état d’urgence décrété par le président François Hollande le soir des attentats du 13 novembre 2015. Cette mesure, une première depuis la guerre d’Algérie, a conféré aux préfets des pouvoirs étendus, tels que l’instauration de couvre-feux, des perquisitions à toute heure et l’assignation à résidence de personnes jugées dangereuses pour la sécurité publique. Ces décisions ont marqué un tournant dans la législation antiterroriste française, selon Patrice Spinosi, avocat spécialisé dans la défense des libertés publiques.
Initialement prévu pour être provisoire, l’état d’urgence a été prolongé six fois avant que ses principales mesures ne soient intégrées dans le droit commun par la loi « sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme » (Silt) en octobre 2017, puis par la loi de prévention du terrorisme en 2021. Cette dernière loi a institutionnalisé les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) pour certains détenus condamnés pour terrorisme, élargi les critères de fermeture des lieux de culte suspectés de liens terroristes, et pérennisé l’utilisation d’algorithmes pour surveiller les profils à risque en ligne. Cependant, ces mesures ont également été critiquées pour leurs dérives, notamment leur application à des militants écologistes et à des manifestants, comme lors des mouvements des Gilets jaunes ou des protestations contre la réforme des retraites.
A l’occasion du congrès national de la Ligue des Droits de l’Homme qui s’est tenu à Bordeaux en mai 2024. Baptiste Giraud (La Clé des ondes) a interrogé Mathilde (observatoire parisien) et Garance (observatoire bordelais) sur les objectifs et le fonctionnement des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières déployés sur le territoire national. Les observatrices s’expriment également sur l’utilité d’un travail indépendant ainsi que sur le décalage qui peut exister entre un rapport officiel et un rapport d’observation comme ce fut le cas à l’issue du rassemblement de Sainte-Soline.
Outre-mer, « violences policières », libertés d’expression et de manifestation, situation des migrants, racisme et mesures antiterroristes figurent au nombre des questions soulevées.
Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport de la France sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, abordant plusieurs questions sensibles telles que les violences policières, les libertés d’expression et de manifestation, la situation des migrants, le racisme et les mesures antiterroristes. Les experts du Comité ont exprimé des préoccupations concernant les restrictions aux droits fondamentaux, les violences policières, et les politiques répressives liées à l’immigration. Ils ont également souligné les tensions en Nouvelle-Calédonie et les mesures de lutte contre le terrorisme qui pourraient attenter aux droits et libertés des personnes.
La délégation représentant le gouvernement français, menée par Isabelle Rome, Ambassadrice pour les droits de l’homme, a insisté sur les efforts de la France pour garantir les droits de l’homme, notamment en renforçant les politiques publiques pour la justice et la démocratie. Elle a également mentionné les initiatives pour lutter contre la peine de mort dans le monde, le racisme, l’antisémitisme, et les discriminations liées à l’origine des personnes. La délégation a souligné les mesures prises pour rétablir l’ordre en Nouvelle-Calédonie et a réaffirmé l’engagement de la France envers les droits civils et politiques dans tous ses territoires, y compris les outre-mer.
Les experts du Comité ont critiqué les réponses de la délégation française concernant l’outre-mer, les qualifiant de « douche froide » et exprimant des doutes sur la sincérité des engagements de la France. Ils ont également abordé des questions spécifiques telles que l’indépendance du parquet, les technologies de surveillance, et les conditions de détention. La délégation française a répondu en soulignant les garanties existantes et les réformes en cours, tout en insistant sur la nécessité de lutter contre le terrorisme et de protéger les droits fondamentaux.
En conclusion, l’examen du rapport de la France par le Comité des droits de l’homme a mis en lumière des préoccupations importantes concernant les droits de l’homme en France, tout en encourageant le gouvernement français à y répondre. Le Comité adoptera ultérieurement ses observations finales sur le rapport de la France.