Mobilisations des 10 septembre, 18 septembre et 2 octobre 2025 : partout en France, des contestations étouffées et réprimées par les autorités

Les mobilisations des 10 septembre, 18 septembre et 2 octobre 2025 ont été l’occasion d’une forte répression partout en France. Les observatoires des libertés et des pratiques policières d’Angers, de Bordeaux, de Lille, de Paris, de Rennes et de Toulouse, notamment, ont pu documenter des atteintes à la liberté d’expression sur l’ensemble du territoire.

Ces mobilisations ont tout d’abord donné lieu à de nombreux arrêtés préfectoraux liberticides. Ainsi, dans de nombreuses villes, ont été adoptés des arrêtés interdisant le port d’objets pouvant constituer une arme. Ces arrêtés sont particulièrement problématiques dans la mesure où de très nombreux objets du quotidien sont susceptibles de constituer des armes par destination, au sens de l’article 132-75 du Code pénal. Toutefois, c’est uniquement a posteriori que la qualité d’arme peut être retenue et en aucun cas avant que ledit objet ait été utilisé. En outre, plusieurs préfectures ont pris des arrêtés d’interdiction des manifestations en centre-ville, ainsi que des arrêtés de déploiement de drones. Autant de textes qui, en amont des mobilisations, peuvent dissuader les citoyens d’exercer leur liberté d’expression.

Par ailleurs, les mobilisations ont été l’occasion d’un usage massif de gaz lacrymogènes, sans respecter les exigences réglementaires de nécessité et de proportionnalité. Dans plusieurs villes, les gaz lacrymogènes ont été employés de façon massive, parfois sans qu’aucun trouble à l’ordre public ne le justifie, provoquant dans certains cas des mouvements de foule dangereux pour la sécurité des personnes. Dans certaines villes, des manifestants ont également été blessés par des palets de grenades lacrymogènes.

Les observatoires ont par ailleurs observé partout en France des interventions policières et des interpellations violentes, non nécessaires et disproportionnées. A cet égard, les observateur.ices ont relevé dans de nombreuses villes des verbalisations, des contrôles d’identité et des interpellations injustifiés. Certains rassemblements, comme à Bordeaux, ont par ailleurs été dispersés de manière brutale, non nécessaire et disproportionnée. Dans les cortèges, on a pu observer plusieurs charges violentes, et parfois sans sommations.

Enfin, lors de ces trois journées de mobilisation, les observateur.ices présent.es ont été régulièrement entravé.es dans leurs missions d’observation par les forces de l’ordre. A titre d’exemples, les forces de l’ordre ont braqué des lampes torche sur les observateur.ices pour entraver la prise d’images, ou se sont servi de leurs boucliers pour empêcher la visualisation de fouilles et contrôles d’identité. De plus, les entraves ont pu prendre la forme de barrages filtrants impossibles à franchir pour les observateur.ices, ou de contrôles d’identité ciblés, au seul prétexte qu’ils et elles avaient filmé les forces de l’ordre, comme l’ont parfois expressément indiqué les agents. Par ailleurs, des consignes ont quelquefois été données aux forces de l’ordre de ne pas laisser passer les observateur.ices de la LDH dans certains périmètres. Enfin, le 2 octobre, les observateur.ices de Toulouse ont été ciblé.es et frappé.es à coups de matraques lors des charges des forces de l’ordre.

Les observations effectuées par les observatoires des pratiques policières le 10 septembre, le 18 septembre et le 2 octobre rendent compte des pratiques des autorités devenues habituelles lors des mobilisations citoyennes : des arrêtés préfectoraux liberticides, un emploi de la force disproportionné, dangereux et non réglementaire, et des entraves aux missions d’observation.

L’Observatoire rennais des libertés publiques entravé dans ses missions

logo de l’observatoire rennais


Jeudi 02 octobre, les forces de l’ordre ont porté une fois de plus atteinte à la mission d’observation de l’ORLIB. L’Observatoire constate une augmentation récente des entraves aux observations de la part des forces de police à Rennes.

L’Observatoire Rennais des LIBertés publiques (ORLIB) est un collectif d’associations et de syndicats dont la mission est d’observer et de documenter les pratiques policières. Une équipe était présente à Rennes pour observer le maintien de l’ordre dans le cadre d’une manifestation le jeudi 2 octobre 2025 à 18h.

À 20h25, les observateur·ices accèdent rue Gurvand pour observer des contrôles et arrestations. En moins d’une minute, alors que l’équipe est à plus de 10 m de l’intervention, 5 policiers accourent vers elle et “l’invitent à quitter les lieux”, arguant du fait qu’elle se trouve “dans le périmètre d’intervention de la police nationale”. Alors que l’équipe fait valoir ses droits, les unités de police la font reculer sur l’entièreté de la rue, rendant impossible l’observation des interpellations. Cette entrave au droit d’observer est accompagnée d’usage de la force sur 2 membres de l’équipe, contraints physiquement de reculer alors qu’iels obtempèrent, et d’une menace de contrôle d’identité abusif :
Est-ce qu’on a le droit de faire un contrôle d’identité puisque vous nous filmer ?

Le 10 septembre, d’autres policiers avaient déjà procédé à un contrôle d’identité non justifié d’une équipe alors qu’elle venait de mettre fin à son observation.

Ces entraves ne sont pas des cas isolés. L’ORLIB fait face à de nombreuses obstructions et intimidations répétées dans le cadre de ses missions : captation d’images des observateur·ices avec des téléphones personnels, remarques outrancières, interactions menaçantes, restriction de déplacements… Ces pressions psychologiques de la part des forces de l’ordre ont pour objectif de dissuader les équipes de réaliser leurs missions. Ces faits ont déjà été exposés dans le dernier rapport annuel de l’ORLIB, mais tendent à se systématiser depuis le début du mois de septembre.

Ces entraves contreviennent au statut d’observateur·ice défini par le comité des droits de l’homme de l’ONU dans son observation n°37 : « il ne peut pas leur être interdit d’exercer [leur] fonction [d’observation] ni leur être imposé de limites à l’exercice de ces fonctions, y compris en ce qui concerne la surveillance des actions des forces de l’ordre« . Ils ne peuvent pas non plus être l’objet de représailles ou d’harcèlement de la part des forces de l’ordre. Ces droits subsistent lors d’une manifestation déclarée illégale.

De plus, le Conseil d’Etat, dans une décision du 10 juin 2021, a reconnu que les observateur·ices disposent des mêmes droits que les journalistes en manifestation. Ils peuvent donc se maintenir sur les lieux d’une manifestation même après l’ordre de dispersion.

Enfin, la circulaire du 23 décembre 2008 précise que les forces de l’ordre ne peuvent s’opposer à ce que leur action soit filmée.

L’ORLIB demande à la préfecture de faire cesser ces entraves aux observations.

L’Observatoire rennais des libertés publiques (ORLIB) vient de prendre public son rapport annuel (mai 2023-avril 2024).

Rennes est une ville connue pour sa forte tradition militante, avec de nombreuses mobilisations étudiantes et syndicales, ainsi que des mouvements nationalistes bretons et autonomes. Les manifestations sont un moyen d’action courant à Rennes, avec des exemples marquants tels que les mouvements contre les lois Debré en 1973, Devaquet en 1986 ou le CPE en 2006. En 2016, le mouvement contre la loi dite « travail » a marqué un tournant, avec l’émergence d’un « cortège de tête » composé de manifestants autonomes se confrontant régulièrement aux forces de police.

En 2023, la ville a connu de nombreuses manifestations, notamment contre la réforme des retraites, avec une trentaine de manifestations entre janvier et juin. Des émeutes ont également éclaté dans différents quartiers de Rennes en réponse à la mort de Nahel, abattu par un policier à Nanterre, avec des affrontements violents entre les forces de police et les manifestants. Les mobilisations ont repris suite aux événements du 7 octobre, avec de nombreux rassemblements pour la paix en Palestine. Enfin, le début de l’année 2024 a été marqué par des manifestations contre la loi dite « immigration », générant de nouvelles tensions entre les manifestants et les forces de police. Les moyens mis en œuvre pour le maintien de l’ordre ont été inédits à Rennes, avec le déploiement de la CRS8, de l’échelon régional rennais du RAID, l’usage de blindés, de drones ou le déploiement récurrent de la CRS82, ce qui appelle à une vigilance particulière pour observer et documenter l’usage qui en est fait.

Parmi les nombreux points instructifs du rapport, on notera la création d’un pôle de recueils de témoignages ou encore une progression encourageante dans les relations, bien qu’encore trop souvent conflictuelles, avec la police : « Malgré ces entraves que nous déplorons, nous remarquons une meilleure acceptation du travail de l’Observatoire au fur et à mesure des observations. Les forces de police semblent nous identifier de mieux en mieux à Rennes. De plus en plus de policier.es s’intéressent et marquent de la curiosité sur le travail de l’Observatoire. »

Lien de téléchargement vers le rapport entier : https://wetransfer.com/downloads/455eb3cb842f9d013a007fa69f7fb5f220240514162327/41b9d6