Le nouveau rapport de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains constate une démocratie française en décrochage.

Image extraite du rapport de la FIDH et de la LDH

Ce rapport, publié sous l’égide de la FIDH et de la LDH, documente une dégradation alarmante des libertés publiques en France, marquée par une répression croissante des mouvements sociaux, des associations et des manifestants. Depuis 2017, l’État a durci son arsenal législatif (loi « séparatisme », loi « anticasseurs », contrat d’engagement républicain) et multiplié les dissolutions administratives d’associations, souvent sur des motifs flous ou politiques. Les autorités ciblent particulièrement les défenseurs des droits humains, les écologistes et les collectifs solidaires des exilés, les accusant de menacer l’ordre public ou les « valeurs républicaines ».

Les pratiques policières, de plus en plus militarisées, illustrent cette dérive : usage excessif de la force (LBD, grenades, nasses), interpellations massives et arbitraires, et impunité quasi systématique pour les violences commises par les forces de l’ordre. Les manifestations, même pacifiques, sont souvent interdites ou réprimées sous prétexte de risques pour l’ordre public, tandis que les contre-pouvoirs (observateurs indépendants, médias critiques) sont entravés. Les exemples des mobilisations contre les méga-bassines ou la réforme des retraites révèlent une stratégie de criminalisation des contestataires, avec des procédures judiciaires abusives et des gardes à vue traumatisantes.

Le rapport souligne aussi le rôle des discours stigmatisants tenus par des responsables politiques et certains médias, qui légitiment cette répression. Des figures comme Gérald Darmanin ou Bruno Retailleau ont publiquement attaqué des associations comme la LDH ou la Cimade, les accusant de complicité avec des « ennemis de la République ». Ces attaques s’accompagnent de menaces de retrait de subventions, de campagnes de diffamation et d’une instrumentalisation des financements publics pour museler les voix critiques. Les acteurs non étatiques (extrême droite, syndicats agricoles) participent à cette dynamique, avec des agressions physiques et des intimidations envers les militant·es, souvent en toute impunité.

Les restrictions financières aggravent la précarisation du secteur associatif. Le « contrat d’engagement républicain », imposé pour l’obtention de subventions, sert d’outil de contrôle idéologique, tandis que des dispositifs comme la cellule Demeter (ciblant les écologistes) ou les procédures-bâillons (pour épuiser les opposants) renforcent l’effet dissuasif. Les associations dénoncent un climat d’auto-censure et une réduction drastique des espaces de dialogue avec les pouvoirs publics, au mépris des normes internationales sur les libertés d’association et de réunion pacifique.

En conclusion, le rapport alerte sur une « dérive illibérale » en France, où l’État utilise les outils démocratiques (lois, justice, financements) pour étouffer la contestation. Les recommandations appellent à un retour au respect des droits fondamentaux, à la fin des dissolutions abusives, à une réforme des pratiques policières et à la protection effective des lanceurs d’alerte et des défenseurs des droits. Sans changement, ce rétrécissement de l’espace civique menace les fondements mêmes de la démocratie française.

Accès au rapport

https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2025/09/20250917_FIDH_Rapport-OBS-FRANCE_FR-WEBdef.pdf

Mobilisations des 10 septembre, 18 septembre et 2 octobre 2025 : partout en France, des contestations étouffées et réprimées par les autorités

Les mobilisations des 10 septembre, 18 septembre et 2 octobre 2025 ont été l’occasion d’une forte répression partout en France. Les observatoires des libertés et des pratiques policières d’Angers, de Bordeaux, de Lille, de Paris, de Rennes et de Toulouse, notamment, ont pu documenter des atteintes à la liberté d’expression sur l’ensemble du territoire.

Ces mobilisations ont tout d’abord donné lieu à de nombreux arrêtés préfectoraux liberticides. Ainsi, dans de nombreuses villes, ont été adoptés des arrêtés interdisant le port d’objets pouvant constituer une arme. Ces arrêtés sont particulièrement problématiques dans la mesure où de très nombreux objets du quotidien sont susceptibles de constituer des armes par destination, au sens de l’article 132-75 du Code pénal. Toutefois, c’est uniquement a posteriori que la qualité d’arme peut être retenue et en aucun cas avant que ledit objet ait été utilisé. En outre, plusieurs préfectures ont pris des arrêtés d’interdiction des manifestations en centre-ville, ainsi que des arrêtés de déploiement de drones. Autant de textes qui, en amont des mobilisations, peuvent dissuader les citoyens d’exercer leur liberté d’expression.

Par ailleurs, les mobilisations ont été l’occasion d’un usage massif de gaz lacrymogènes, sans respecter les exigences réglementaires de nécessité et de proportionnalité. Dans plusieurs villes, les gaz lacrymogènes ont été employés de façon massive, parfois sans qu’aucun trouble à l’ordre public ne le justifie, provoquant dans certains cas des mouvements de foule dangereux pour la sécurité des personnes. Dans certaines villes, des manifestants ont également été blessés par des palets de grenades lacrymogènes.

Les observatoires ont par ailleurs observé partout en France des interventions policières et des interpellations violentes, non nécessaires et disproportionnées. A cet égard, les observateur.ices ont relevé dans de nombreuses villes des verbalisations, des contrôles d’identité et des interpellations injustifiés. Certains rassemblements, comme à Bordeaux, ont par ailleurs été dispersés de manière brutale, non nécessaire et disproportionnée. Dans les cortèges, on a pu observer plusieurs charges violentes, et parfois sans sommations.

Enfin, lors de ces trois journées de mobilisation, les observateur.ices présent.es ont été régulièrement entravé.es dans leurs missions d’observation par les forces de l’ordre. A titre d’exemples, les forces de l’ordre ont braqué des lampes torche sur les observateur.ices pour entraver la prise d’images, ou se sont servi de leurs boucliers pour empêcher la visualisation de fouilles et contrôles d’identité. De plus, les entraves ont pu prendre la forme de barrages filtrants impossibles à franchir pour les observateur.ices, ou de contrôles d’identité ciblés, au seul prétexte qu’ils et elles avaient filmé les forces de l’ordre, comme l’ont parfois expressément indiqué les agents. Par ailleurs, des consignes ont quelquefois été données aux forces de l’ordre de ne pas laisser passer les observateur.ices de la LDH dans certains périmètres. Enfin, le 2 octobre, les observateur.ices de Toulouse ont été ciblé.es et frappé.es à coups de matraques lors des charges des forces de l’ordre.

Les observations effectuées par les observatoires des pratiques policières le 10 septembre, le 18 septembre et le 2 octobre rendent compte des pratiques des autorités devenues habituelles lors des mobilisations citoyennes : des arrêtés préfectoraux liberticides, un emploi de la force disproportionné, dangereux et non réglementaire, et des entraves aux missions d’observation.

Forte répression à Toulouse le 2 octobre 2025

Image illustrative maitien de l'ordre à Toulouse
Image à titre illustratif générée par IA

Ce communiqué de presse, signé conjointement le lendemain de la manifestation par la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération syndicale unitaire (FSU), la LDH (Ligue des droits de l’Homme) et l’Union syndicale Solidaires, et intitulé « Manifester notre solidarité à Gaza n’est pas un crime », témoigne d’un violent maintien de l’ordre engendrant des blessés. Nous relayons la partie principale du communiqué :

Hier soir, le 2 octobre 2025, partout en France, se tenaient des rassemblements et des manifestations en soutien au peuple palestinien, pour dénoncer une nouvelle fois le génocide en cours à Gaza, mais aussi l’arraisonnement des bateaux de la flottille humanitaire aux portes de Gaza en violation du droit international, et l’incarcération des militantes et militants présent-e-s à bord, dont trois sont Toulousains. À Toulouse, le préfet a décidé d’interdire ce rassemblement alors qu’aucun débordement n’avait eu lieu précédemment.

Le rassemblement s’est tout de même tenu, mais il a été fait usage de la force pour disperser les manifestantes et manifestants par de violentes charges policières, du gazage, des matraquages et lancement de grenades de désencerclement, en méconnaissance des dispositions du Code de la sécurité intérieure mais plus encore de la liberté de réunion pacifique, promue par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Même lorsqu’une manifestation est interdite, elle ne devient pas ipso facto un attroupement et, si les manifestantes et manifestants peuvent être verbalisé-e-s, l’emploi de la force ne peut être admis que s’il est nécessaire et proportionné. Ces charges ont engendré des blessures et se sont doublées d’interpellations, alors que ce rassemblement était pacifique comme le prouvent les vidéos.

Nos organisations rappellent à cet égard que la participation à une manifestation interdite, qui constitue une contravention, ne saurait pour ce motif donner lieu à interpellation. De même, la circonstance que le rassemblement soit interdit n’autorise pas les forces de l’ordre à recourir à la force de manière disproportionnée. Une nouvelle fois, l’État démontre ses contradictions en reconnaissant l’État palestinien devant l’ONU mais en réprimant les militantes et militants acquis à cette cause. Manifester ne constitue pas un crime, et encore moins quand il s’agit de se mobiliser pour exiger un cessez-le-feu et la fin d’un génocide et du blocus qui affame une population !

En outre, les observatrices et observateurs de Toulouse, membres de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) et de la Fondation Copernic, présent-e-s sur les lieux de la mobilisation, ont été ciblé-e-s et violenté-e-s lors des charges des forces de l’ordre.

Partout en France, les observatrices et observateurs sont très régulièrement la cible d’attaques verbales ou physiques, ou d’entraves juridiques de la part des autorités françaises, en violation du droit international et de la décision du Conseil d’État de 2021. Les forces de l’ordre sont redevables de leurs actions envers la population et tant les observatrices et observateurs que les journalistes ont un rôle essentiel dans une démocratie et ne sauraient être pris pour cibles pour invisibiliser les pratiques illégales commises.

Nos organisations apportent leur soutien aux camarades réprimé-e-s et violenté-e-s et dénoncent fermement cette escalade répressive à l’égard des mouvements sociaux, mais aussi à l’encontre des manifestations en soutien au peuple palestinien. Nos organisations réaffirment leur détermination à continuer la lutte pour une paix juste et durable en Palestine, pour exiger l’arrêt du génocide.

2015-2025 : la Nouvelle République fait le point sur les libertés publiques avec l’avocat Patrice Spinosi

Image illustrative de policiers surveillant la popupaltion

En réponse aux attentats de 2015, la France a adopté des mesures sécuritaires exceptionnelles, notamment l’état d’urgence décrété par le président François Hollande le soir des attentats du 13 novembre 2015. Cette mesure, une première depuis la guerre d’Algérie, a conféré aux préfets des pouvoirs étendus, tels que l’instauration de couvre-feux, des perquisitions à toute heure et l’assignation à résidence de personnes jugées dangereuses pour la sécurité publique. Ces décisions ont marqué un tournant dans la législation antiterroriste française, selon Patrice Spinosi, avocat spécialisé dans la défense des libertés publiques.

Initialement prévu pour être provisoire, l’état d’urgence a été prolongé six fois avant que ses principales mesures ne soient intégrées dans le droit commun par la loi « sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme » (Silt) en octobre 2017, puis par la loi de prévention du terrorisme en 2021. Cette dernière loi a institutionnalisé les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) pour certains détenus condamnés pour terrorisme, élargi les critères de fermeture des lieux de culte suspectés de liens terroristes, et pérennisé l’utilisation d’algorithmes pour surveiller les profils à risque en ligne. Cependant, ces mesures ont également été critiquées pour leurs dérives, notamment leur application à des militants écologistes et à des manifestants, comme lors des mouvements des Gilets jaunes ou des protestations contre la réforme des retraites.

Source : https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/dix-ans-apres-les-attentats-les-libertes-publiques-a-l-epreuve-de-l-antiterrorisme